30. 6. 2021 30min.

Stabilité, soutenabilité et succes au sahel: les prochaines étapes de l’engagement tchèque

Policy
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L'engagement militaire de la République tchèque au Sahel depuis 2013 et les importants projets de développement rural qu'elle a mis en place, dans le cadre de la stratégie gouvernementale pour le G5 Sahel, expriment son engagement auprès de l'Union européenne et ses partenaires africains ainsi que ses préoccupations pour les défis sécuritaires de la région. En s'adaptant au « nexus sécuritédéveloppement », la Tchéquie a récemment renforcé sa présence diplomatique au Sahel et a étendu ses activités aux domaines de la santé, des migrations et de la société civile. Pour contribuer de façon durable et complémentaire aux efforts de l'UE dans la Coalition pour le Sahel, la Tchéquie doit adapter sa stratégie afin de construire un Sahel résilient. Elle doit notamment s'appuyer sur les piliers de gouvernance, de développement et elle doit avoir une politique en faveur des droits humains et des femmes dans la région. Elle devrait également améliorer sa planification financière et mieux intégrer le Sahel dans sa politique budgétaire. Cet investissement pourrait permettre de mobiliser l'expertise nationale et l'opinion publique sur le long terme. Enfin, cela donnerait de la crédibilité à l'investissement tchèque au Sahel dans la perspective de sa présidence de l'Union européenne en 2022.

Des voisins plus proches que jamais

La République tchèque entretient aujourd'hui avec l'Afrique des relations particulièrement dynamiques. Malgré un siècle de balbutiements depuis l'ouverture des premières missions diplomatiques tchécoslovaques à Alexandrie en 1920 et au Cap en 1926, la Tchéquie compte aujourd'hui 13 ambassades au nord et au sud du Sahara. Le pays a contribué à des dizaines de projets de développement en Afrique et en dépit d'une baisse du chiffre d'affaires de 17 % due à COVID-19, les flux commerciaux avec le continent ont atteint près de 3 milliards d'euros en 2020 (voir L'engagement tchèque en Afrique en chiffres).

L'année 2013 a toutefois marqué une rupture dans la politique étrangère tchèque en Afrique. Dans un contexte d'intérêt croissant des puissances mondiales et de l'Europe pour la région, les forces armées tchèques ont rejoint la Mission de formation de l'UE (EUTM), suivie par la mission de maintien de la paix de l'ONU au Mali (MINUSMA). L'année 2018 a également vu l'adoption d'une stratégie intégrale du gouvernement pour le Sahel (c'est-à-dire le G5 Sahel) qui a ainsi affirmé la nouvelle priorité géographique de la politique étrangère tchèque audelà de l'amélioration de la sécurité de la région.

La Tchéquie se classe parmi les huit premiers pays au monde en termes d'Indice des Objectifs de Développement Durable. Cependant, elle fait partie du groupe des petits et moyens États en Europe et elle n'a pas forcément l'expertise nécessaire et les moyens suffisants pour établir des partenariats de développement d'envergure au profit des habitants du Sahel. Malgré l'héritage de l'engagement tchécoslovaque dans la lutte anticoloniale, les relations tchèques avec l'Afrique subsaharienne francophone n'ont jamais été particulièrement fortes et la Tchéquie a besoin de trouver sa place au milieu d'autres acteurs européens et internationaux et de mettre en adéquation sa politique de transition au Sahel avec ce qu'elle fait dans le reste du monde.

Par conséquent, cette note politique procèdera en trois étapes. Dans un premier temps, elle donnera un aperçu des défis politiques et des moyens des cinq pays du Sahel en matière de sécurité et de développement. Dans un second temps, elle passera en revue l'investissement tchèque dans la sécurisation de la région et elle formulera des recommandations pour améliorer l'action gouvernementale. Enfin, avec la présidence tchèque de l'UE partagée avec la France et la Suède en ligne de mire, ce document plaidera pour une augmentation de la contribution tchèque à la stabilisation du Sahel: pour un avenir plus stable, plus durable et prospère au Sahel.

Stabilité et sécurité

Le Sahel est fréquemment dépeint comme l'une des régions les plus fragiles au monde. Au cours de la dernière décennie, il a traversé une série de crises qui a entraîné une conjoncture complexe, tant au niveau local que global. La fragilité des gouvernements de la région a des racines profondes qui peuvent remonter jusqu'à l'histoire coloniale et postcoloniale de la formation des États. Ces tensions trouvent également leurs origines dans des facteurs structurels : une pauvreté galopante, des tensions ethniques et claniques ou encore dans des causes liées au climat. Les préoccupations de la communauté internationale pour la sécurité et la stabilité de la région sahélienne ont, sans doute, été accrues par un dénouement plus rapide de l'ordre régional, à la suite du soulèvement touareg dans le nord du Mali en 2012. Celui-ci a été suivi par l'effondrement de l'État malien, par l'ascension régionale des djihadistes et de divers acteurs violents non étatiques et par une intensification des flux migratoires vers l'Europe.

La situation sécuritaire reste précaire et elle s'est même détériorée dans certaines parties de la région. Des territoires entiers échappent toujours au contrôle des États car les conflits se sont déplacés vers des zones auparavant stables. Les succès initiaux atteints par la campagne militaire française contre les forces djihadistes dans le nord du Mali et la réconciliation politique qui a suivi entre le gouvernement malien et les séparatistes du nord, se sont embourbés dans des processus et des mises en application particulièrement lents et pénibles. Pendant ce temps, la faiblesse généralisée des États et la persistance des réseaux islamistes ont plutôt ouvert la voie à une nouvelle vague d'insurrections, d'incidents terroristes et d'attaques contre des civils dans le centre et, récemment, dans le sud du Mali, dans le nord du Burkina Faso, dans l'ouest du Niger et ailleurs. Des réseaux de criminels et de contrebande, profondément enracinés, se sont mêlés aux insurgés et aux autres militants, créant même parfois des autorités politiques alternatives qui défient l'autorité des États et qui se défient également entre elles, ce qui aggrave la crise sécuritaire dans de nombreuses régions. Les combattants djihadistes d'Al-Qaida et, plus récemment, de l'État islamique, ont souvent alimenté et se sont nourris de ces conflits, essentiellement locaux, et de ces tensions entre différents groupes identitaires.

Toutefois, le mécontentement des populations au déficit de services publics, à l'insécurité persistante et aux opérations musclées menées par les forces armées nationales a contribué à l'attractivité de divers groupes violents non étatiques en faisant du rétablissement de l'autorité légitime de l'État une tâche de plus en plus difficile. Dans de nombreux cas, diverses rumeurs et tentatives de désinformations ont contribué à éroder la confiance dans les autorités nationales et celle de leurs alliés internationaux. Le mécontentement à l'égard des dirigeants nationaux dans certains pays sahéliens va au-delà des conflits ouverts. Toute tentative sérieuse de stabilisation doit ainsi, tenir compte de cette fragilisation du contrat social.

La réaction de l'opinion publique au coup d'État militaire en août 2020 au Mali et les semaines de manifestations populaires qui l'ont précédé ont mis en lumière l'ampleur de la colère populaire face aux défaillances de l'État, allant du manque de services publics à l'abus de pouvoir politique, en particulier en termes de corruption et d'impunité.

En mai 2021, un autre coup d'État a troublé l'opinion publique au Mali. Cependant, les critiques à l'égard des élites politiques locales, qui se sont parfois exprimées par les manifestations populaires, se multiplient également dans d'autres pays de la région, à savoir au Niger et au Tchad. Les récents événements après la mort d'Idriss Déby, le président tchadien, montrent que les relations entre autoritarisme et stabilité ne sont pas directes et immuables. Toutefois, il faut reconnaître que les défis auxquels les autorités régionales ont dû faire face, au cours des dernières années, pour assurer la stabilité du pays ont été énormes. Elles vont de la nécessité de subvenir aux besoins de près de trois millions de déplacés internes (Internally Displaced Persons) et de réfugiés rien qu'au Mali, au Niger et au Burkina Faso, aux conséquences du conflit et de la récente crise du coronavirus sur la sécurité alimentaire et sur les économies locales en général.

De multiples formes d'intervention et d'assistance extérieures ont été lancées pour faire face à ces crises de sécurité multidimensionnelles, certains analystes parlent même d'un « embouteillage » des interventions extérieures. Depuis 2014, la France a hérité du fardeau de la plupart des opérations antiterroristes dans la région. Plusieurs États européens ont également engagé leurs forces spéciales dans une mission complémentaire avec un mandat d'intervention : la Task Force Takuba. Elle est censée internationaliser les efforts de lutte contre le terrorisme et montrer une responsabilité européenne partagée en matière de sécurité et de stabilité dans la région du Sahel. En outre, la France et dans une moindre mesure, d'autres pays de l'UE, ont également joué un rôle décisif dans le soutien à la formation d'une force régionale de lutte contre le terrorisme, la Force conjointe du G5 Sahel. Elle est récemment devenue opérationnelle, malgré de nombreux obstacles logistiques.

La MINUSMA, l'opération de maintien de la paix des Nations- Unies s'est engagée dans un large éventail de tâches depuis 2013. Ses missions vont du soutien aux processus de consolidation de la paix et de protection des civils maliens dans les zones où les insurgés sont actifs jusqu'au renforcement de l'autorité du gouvernement sur les parties contestées du pays, en particulier, celles des régions centrales. Enfin, l'UE a été impliquée dans la région par le biais de ses missions d'assistance qui visent à former les forces armées maliennes (EUTM), et à renforcer les moyens de la police et d'autres forces de sécurité intérieure au Mali et au Niger (EUCAP Sahel Mali, EUCAP Sahel Niger). Le soutien et la formation des forces armées locales ont ensuite été déclarés comme l'un des piliers de la Coalition pour le Sahel qui fut créée afin de fusionner les initiatives de sécurité et de développement.

L'intérêt international pour le Sahel reflète également la géopolitique émergente de la région. Bien qu'il soit traditionnellement perçu comme un domaine de contrôle et d'influence français, de plus en plus d'États européens y ont participé, y compris des pays d'Europe centrale et orientale comme la Tchéquie ou l'Estonie. Cela montre que la stabilisation des pays sahéliens est devenue une priorité paneuropéenne. Depuis l'arrivée de l'administration Biden, les ÉtatsUnis ont promis d'accroître leur soutien aux forces françaises et leur implication générale dans la région en matière de lutte contre le terrorisme. L'inquiétude grandit également quant à une concurrence géopolitique directe entre l'UE et d'autres acteurs sur la scène internationale. La Russie a mis en oeuvre une politique des petits pas au Mali et elle conserve son influence dans le domaine de l'information ainsi qu'en marge de la région en Algérie et en République centrafricaine. D'autre part, la Chine s'est, quant à elle, établie plus solidement au Sahel. Elle contribue à la MINUSMA par des moyens humains et elle apporte son soutien financier à la Force conjointe du G5 Sahel. Ses projets d'infrastructures, d'aide humanitaire, d'aide au développement et son rôle économique important devraient être accélérés par la pandémie.

Durabilité et économie

Souffrant non seulement de crises sécuritaires, le Niger, le Tchad, le Mali et le Burkina Faso se classent aussi parmi les sept derniers pays en termes d'Indice de développement humain. Cela fait du Sahel le premier exemple d'enchevêtrement complexe entre insécurité, pauvreté et crise climatique. Un nombre important de conflits locaux sont souvent analysés d'un point de vue malthusien, c'est-à-dire que le conflit est vu comme le résultat inévitable d'une lutte pour des ressources de plus en plus rares dans un contexte d'accroissement de la population. Rien qu'au Mali, 80 % des vies dépendent de l'agriculture. La production alimentaire du Sahel est particulièrement affectée par le réchauffement climatique et par les sécheresses. Cela se traduit par des rendements généralement inférieurs pour les agriculteurs sédentaires et une disponibilité limitée des pâturages et de l'eau pour les grands troupeaux des bergers sahéliens (60 % de la population sahélienne garde le bétail).

Cependant, expliquer les conflits entre agriculteurs et éleveurs uniquement par des facteurs climatiques, des clivages ethniques (Peuls contre d'autres) et religieux (musulmans contre chrétiens), est trop simpliste et réducteur. En effet, il existe une grande diversité et une grande complexité dans les conditions de vie agricoles dans cette région – des agriculteurs sédentaires aux éleveurs nomades et même aux chasseurs en passant par les semi-bergers transhumants – qui peuvent transcender les autres clivages sociaux. La plupart des familles se livrent aussi à des activités économiques en dehors de l'agriculture. De plus, les effets du changement climatique ne sont pas uniformes: la productivité agricole a généralement suivi la croissance démographique non seulement grâce à l'expansion des zones cultivées, mais aussi grâce à l'accroissement des précipitations dans certaines régions du Sud, ce qui a affecté par exemple, davantage les éleveurs que les cultivateurs. Le Mali en particulier, a doublé sa production agricole au cours de la dernière décennie grâce à un État très interventionniste.

Cependant, il est impossible de séparer l'économie et l'environnement de la politique. Le pastoralisme et l'élevage sont répartis de façon inégale dans toute la région. Pendant de longues décennies, ils ont été victimes de fortes incitations de la part des gouvernements et des bailleurs internationaux pour développer la production végétale, l'agriculture du coton pour l'exportation en particulier. Toutes ces interventions extérieures ont mis à mal la résilience des institutions informelles et multicouches dans l'écologie politique complexe et transnationale de la gestion des ressources naturelles au Sahel. De plus, les mesures actuelles anti-terroristes et anti-pandémiques limitent encore un peu plus la mobilité transfrontalière et, donc, le pastoralisme nomade, qui est par ailleurs l'un des modes de vie les plus durables pour la planète.

Comme nous avons souligné du point de vue de la sécurité, le grand nombre de déplacées internes et de réfugiés sont un poids supplémentaire pour les services publics ainsi que pour les ressources naturelles. Plus de cinq millions de personnes sont susceptibles de tomber dans une grave insécurité alimentaire au cours de la saison maigre l'été prochain rien qu'au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Ce nombre pourrait atteindre jusqu'à 24 millions de personnes dans toute l'Afrique de l'Ouest. Bien que la production et la distribution alimentaires soient une des priorités immédiates, la région ne pourra pas se passer de l'aide humanitaire pendant de nombreuses années. Les disparités géographiques du Sahel ne facilitent pas la mise en place des infrastructures nécessaires à l'approvisionnement des populations. L'accès à l'électricité reste rare, même si le Mali en particulier a fait des progrès considérables en raccordant environ 85 % de la population urbaine. Cependant, partout, la fracture ville/campagne concernant l'accès à l'électricité est profonde et l'accès à l'électricité est presque inexistant dans les zones rurales mauritaniennes et tchadiennes.

Par conséquent, la pauvreté rurale combinée à la migration forcée pourrait encore accélérer l'urbanisation relativement faible du Sahel, d'autant plus que la croissance économique s'est, depuis le début des années 2000, déplacée des zones rurales vers les villes. Cependant, sans un accès à l'éducation, aux services de santé, à l'eau et à l'énergie et sans l'allégement de la contrainte sur l'environnement des villes, la pauvreté et les inégalités urbaines pourraient bientôt augmenter. Si l'agriculture est essentielle à la stabilité et à une croissance durable, elle ne suffit pas, en elle-même, pour faire profiter le Sahel de son dividende démographique. Alors qu'au Mali 300.000 jeunes entrent sur le marché du travail chaque année, seul un sixième trouve un emploi dans l'économie formelle. La population actuelle du G5 est de 85 millions et elle devrait augmenter de 60 % d'ici 25 ans. Pendant ce temps, la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière diminue dans toute la région et elle ne dépasse nulle part celle du Burkina Faso de 20 % du produit national.

L'industrialisation, dans un cadre post-colonial, est un objectif à long terme légitime, mais elle est d'autant plus difficile car tous les pays du Sahel, mis à part le Sénégal, font partie des pays les moins avancés (PMA). De plus, tous les pays du G5, excepté la Mauritanie, sont enclavés, ce qui complique encore davantage leur juste intégration dans l'économie du continent et dans l'économie mondiale et tout cela, en dépit de leurs dettes publiques relativement faibles. S'il y a des avantages à leurs situations géographiques respectives, ils sont à double tranchant. Le revenu illicite liés à différents trafics gangrènent l'économie et rongent les recettes fiscales et le budget de l'État. Les avantages provenant des migrations internationales sont limités puisque la contribution des rémittences au développement du pays reste mineure, à l'exception du Mali. De même, les revenus provenant de l'exportation de ressources naturelles, notamment le pétrole et l'or, ont été volatils et variables, ce qui en fait un fondement précaire pour une croissance durable. Pourtant, le revenu tchadien issu de l'exportation des ressources naturelles représente un quart du produit national, ce qui oblige le gouvernement à assurer une équitable répartition des ressources auprès des populations locales.

Succès et responsabilité

Une action concertée avec les acteurs locaux, nationaux et internationaux est nécessaire pour la croissance du Sahel. Elle doit être non seulement plus diversifiée et inclusive, mais aussi devenir un facteur stabilisateur adapté à une croissance démographique, qui atteint par exemple, jusqu'à 3,8 % par an au Niger. Toutefois, les progrès concernant la bonne gouvernance, en tant que troisième pilier de la Coalition pour le Sahel, ont été timides pour plusieurs raisons. À ses débuts, l'approche sécuritaire de l'Union européenne ne facilitait pas le dialogue politique car elle donnait à la migration un statut qui ne correspondait pas aux priorités et aux besoins du Sahel. En outre, l'absence d'améliorations concernant la gouvernance a conduit les acteurs européens à une multiplication des initiatives, créant ainsi un « embouteillage d'interventions » similaire à celui déjà mentionné dans le domaine de la sécurité. Enfin, l'approche dépolitisée de l'UE en matière de développement, ses relations tutélaires historiques avec l'Afrique et sa réticence à appliquer toute forme de conditionnalité à l'aide n'ont pas offert suffisamment d'incitations aux gouvernements sahéliens pour poursuivre les réformes au niveau national. Le cap positif vers plus de responsabilité mutuelle, énoncée dans la nouvelle « stratégie intégrée » de l'UE pour le Sahel, n'a pas encore été mis en pratique.

Le modèle des Pôles sécurisés de développement et de gouvernance acclamé au Mali comme un retour de l'État, témoigne également d'une compréhension plutôt réductrice de la gouvernance. Elle est conçue uniquement comme la capacité à fournir des services de base et elle prône plutôt une meilleure communication qu'une véritable participation des populations. En effet, il sera beaucoup plus difficile de résoudre les conflits entre agriculteurs et éleveurs, par exemple en appliquant les lois existantes sur le pastoralisme, en faisant appel à la médiation et en impliquant les institutions informelles car la bonne gouvernance doit s'appliquer aux acteurs étatiques eux-mêmes pour gagner la confiance des citoyens. En raison d'une faible prise en charge, le renforcement des États par l'intermédiaire de l'EUCAP au Mali et au Niger n'a jusqu'à présent pas encore atteint les objectifs fixés. L'expérience générale montre qu'avec l'augmentation du nombre d'interventions de développement, des projets mal conçus, y compris des projets climatiques, peuvent encore exacerber les problèmes locaux, notamment pour les bergers. Au nom de la sécurité des populations locales, ne pas nuire devrait être le principal mot d'ordre en matière d'efficacité des politiques de développement.

Toutefois, le soutien à l'autorité de l'État, dans une perspective uniquement top-down est insuffisant car il se heurte aux problèmes inhérents de ces États, par exemple, la corruption ou encore la faiblesse de leurs moyens, notamment financiers. Il devrait être couplé au soutien de la société civile au sens large et à des médias indépendants dans une perspective plus bottom-up, en y associant les couches les plus défavorisées de la population. Cela peut être une tâche délicate dans des contextes sociétaux de conflit car la contestation des autorités locales, dans de nombreuses communautés rurales, est due à une stratification sociale ou à un système de castes. Cependant, et en particulier pour les bailleurs européens, le respect des droits fondamentaux devrait être un élément indispensable. Ils devraient fortement soutenir les gouvernements dans la lutte contre l'asservissement car, on estime, encore aujourd'hui, que 500.000 personnes, y compris des enfants, vivent dans des situations d'esclavage contemporain moderne dans les pays du G5.

 Un autre élément indispensable pour les acteurs européens devrait être le soutien aux femmes et aux filles dont l'autonomisation (empowerment) est extrêmement importante pour atteindre les objectifs économiques mentionnés précédemment. Alors que la prévalence des mutilations génitales féminines est culturellement très variable, la santé et les droits sexuels et reproductifs (sexual and reproductive health and rights) ne sont pas respectés dans toute la région. Les garantir permettrait aux femmes et aux filles d'avoir un meilleur contrôle sur leur corps, sur leurs vies, leurs enfants, leurs familles, leur travail etc... Le mariage des enfants est encore fréquent dans la région. Trois filles mineures sur quatre se marient au Niger, une fille sur deux au Tchad. Le mariage forcé des enfants n'est pas seulement problématique comme en tant qu'une violation de l'autonomie des filles, le mariage précoce est également fortement dépendant du faible espacement des naissances, de la mortalité maternelle et infantile et des taux de fécondité élevés (le taux de fécondité est par exemple, de près de 7 enfants au Niger). La natalité élevée est non seulement liée aux faibles niveaux d'éducation, mais aussi à l'exposition à d'autres formes de violences sexuelles et sexistes. Évidemment, il n'y a pas de solution miracle au pour résoudre le lien entre violence, santé, fertilité, éducation et productivité. Cependant, les effets multiplicateur apportés par l'autonomisation des femmes et par l'éducation les hommes ne peuvent être sous-estimés, y compris, les effets multiplicateurs sur la richesse nationale. Au Mali, par exemple, les ménages dirigés par des femmes sont moins sensibles à la pauvreté que les ménages dirigés par des hommes. Les véritables priorités des acteurs nationaux et internationaux peuvent moins différer dans les domaines traditionnels du développement tels que l'eau, la santé ou l'éducation.

La contribution tchèque à la stabilité

Le choix du Sahel comme priorité de la politique étrangère tchèque a été d'abord motivé par des préoccupations de sécurité plutôt que de développement (voir Étapes clés des engagements tchèque et européen au Sahel). En effet, l'engagement des forces armées tchèques au Sahel constitue un changement significatif d'orientation stratégique. Historiquement, la Tchéquie n'a contribué de façon substantielle qu'à une seule mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : EUFOR ALTHEA en Bosnie-Herzégovine (2004–2008). Après quoi, elle s'est presque retirée des opérations militaires de la PSDC et sa participation aux missions expéditionnaires a été réduite presque entièrement à la FIAS de l'OTAN. Lorsque Prague a choisi de se réengager dans des opérations, le Sahel est devenu sa zone de prédilection. Le tournant est arrivé en 2013 avec la décision de participer à l'EUTM au Mali. Les contingents tchèques ont été chargés de la protection du quartier général de la mission à Bamako et des activités d'entraînement à Koulikoro. En 2017, ils se sont également impliqués dans des opérations de combat, lorsque les forces armées tchèques ont répondu à une attaque de miliciens contre une station hôtelière à Kagaba. La taille réelle du contingent tchèque dans l'EUTM Mali n'a cessé d'augmenter au fil du temps passant de 30 personnes initialement à environ 85 aujourd'hui.

En 2020, la Tchéquie s'est vu confier le commandement de la mission. Durant cette période, le contingent tchèque avait augmenté jusqu'à environ 115 personnes, ce qui était proche de la limite de 120 imposée par le mandat expéditionnaire national. Il a accompli son mandat dans le contexte de deux vagues de COVID-19 et d'un coup d'État en août 2020, ce qui a porté atteinte à la préparation de la mission. Après quoi, les relations avec le gouvernement, dont la légitimité restait à déterminer, ont dû être rétablies. Dans le même temps, une décentralisation des activités de formation a été organisée. Elle s'est traduite par un déplacement vers le centre du Mali et par l'utilisation des installations de Barkhane et de la MINUSMA. Le gouvernement tchèque s'est dit prêt à soutenir le déplacement du centre de formation de l'EUTM de Koulikoro à Sévaré, ce qui constituerait une régionalisation de la mission de soutien au G5 Sahel et un élargissement de sa portée au Burkina Faso et au Niger. Le gouvernement tchèque a souligné son ambition de reprendre le commandement de la mission au second semestre 2022 et il a défini le soutien à la régionalisation des activités de la PSDC au Sahel comme une de ses priorités géographiques pour la prochaine présidence tournante du Conseil de l'UE.

En effet, au cours de la dernière décennie, les forces spéciales tchèques ont déployé un contingent dans le cadre de de la MINUSMA (2015–2016) sous commandement néerlandais; la présence tchèque, d'abord discrète dans la structure de commandement de la MINUSMA, a été depuis renforcée dans la perspective d'un engagement futur plus important et dans le cas où la situation l'exigerait. Cela signifie aussi un changement stratégique dans l'engagement tchèque dans la région. Depuis mars 2021, plusieurs dizaines de membres des forces spéciales tchèques ont été déployés dans la Task Force Takuba.

Elle combat dans le nord du Mali aux côtés des forces françaises et elle est en soutien à la Force conjointe du G5 Sahel contre les groupes extrémistes, ainsi qu'au quartier général de la mission Takuba. Le mandat de la force expéditionnaire permet actuellement le déploiement de 60 soldats jusqu'à la fin de 2022. La Tchéquie s'est également engagée dans une coopération bilatérale en matière de sécurité avec les pays du G5 Sahel – avec un intérêt particulier pour le Mali et pour le Burkina Faso. Elle a également contribué financièrement à la fondation de la Force conjointe du G5.

Le Sahel apparaît désormais comme une potentielle destination pour de futurs déploiements, d'autant plus que la présence expéditionnaire en Afghanistan pourrait prendre fin dans un avenir proche. La République tchèque est également favorable à un engagement accru de l'OTAN au Sahel. Celui-ci était jusqu'à présent beaucoup plus limité par rapport au large spectre des activités de l'UE, mais il est décrit dans la Feuille de route pour le Sahel de l'OTAN (2020). Cet investissement accru de l'OTAN dans la région est également favorisé, entre autres, par la convergence des positions des États-Unis et de la France sur le rôle de l'OTAN dans la modernisation des activités des États membres et sur le renforcement des gouvernements locaux. L'envoi d'experts civils, par exemple, dans le cadre des missions de l'EUCAP, a été limité en raison de la rareté de l'expertise locale. Il ne faut cependant pas considérer ces obstacles comme insurmontables, comme le montre leur présence limitée dans le passé. Toutefois, conformément au paradigme de l'externalisation des frontières, la Tchéquie nourrit l'ambition, à court terme, de s'impliquer dans les programmes de contrôle et de gestion des frontières et dans les missions civiles de la PSDC.

Comment expliquer l'engagement de la Tchéquie dans un territoire où elle n'avait ni d'intérêts de sécurité clairement définis ni de présence militaire stable auparavant? L'évaluation de l'aggravation de la situation sécuritaire a évidemment joué un rôle tout comme l'encadrement des déploiements en tant qu'activités antiterroristes avancées. La gestion des risques mise en exergue par l'effondrement potentiel des États et l'émergence d'un « territoire refuge » (Safe-haven) pour Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et ses ramifications dans la région a également joué un rôle important. Plus tard, l'idée de l'envoi de troupes comme stratégie d'avenir de lutte contre les migrations illégales a pris de l'ampleur. Néanmoins, la fin progressive de la présence militaire en Afghanistan a été un autre facteur contributif. Il a permis d'allouer les ressources ailleurs et notamment dans sa politique de voisinage oriental, une zone d'orientation traditionnelle des politiques de transition tchèques qui n'offrait pas les même possibilités opérationnelles que celles que l'armée tchèque avaient eus en Afghanistan. En effet, cela s'inscrivait dans le cadre d'un engagement plus large au sein de la PSDC qu'elle a ensuite combiné avec le soutien à une intégration européenne plus étendue dans le domaine de la sécurité et de la défense ainsi que de la mise à niveau stratégique de l'UE en général.

La sensibilité aux intérêts sécuritaires français au Sahel peut être également conçue comme une couverture de risque face à l'incertitude transatlantique. Cette politique est d'abord apparue avec le désintérêt de Barack Obama pour l'Europe et son pivot vers l'Asie, puis, par la présidence perturbatrice, et parfois erratique, de Donald Trump sur fond de basculement structurel induit par la nouvelle confrontation géopolitique entre les États-Unis et la Chine. Cette décision a déjà abouti à l'ouverture d'un dialogue stratégique avec la France, un forum où les positions sur les questions chères aux intérêts tchèques peuvent être communiquées. En termes plus larges, l'engagement tchèque au Sahel est considéré par la communauté nationale comme une projection de l'image d'un contributeur pertinent et réactif sur les questions sécuritaires de l'UE et ce, même en dehors de ses zones d'intervention traditionnelle : les Balkans par exemple. Elle apparaît ainsi, également vis-à-vis de l'Allemagne et des États membres de l'Europe du Sud, comme un élément de différenciation positive par rapport à d'autres pays d'Europe centrale.

La contribution tchèque à la durabilité et aux succès

Le Sahel a été décrit comme un laboratoire à la mise en application de l'approche intégrative de l'UE en matière de sécurité, de migration et d'aide au développement. L'objectif initial de l'engagement tchèque au Sahel était la sécurité mais le gouvernement a rapidement souscrit à l'idée de nexus. Progressivement, il a mobilisé d'autres outils de politique étrangère, de développement et de migration. Ces outils ont été consolidés par la Stratégie de la République tchèque pour soutenir la stabilisation et le développement des pays du Sahel pour la période 2018–2021, adoptée par le gouvernement en avril 2018. Un rapport global, à mi-parcours, a récemment fait le bilan des activités passées et anticipe leurs extensions à venir. La stratégie interministérielle, un format inédit en ce qui concerne une région particulière du monde, n'a pas de budget propre. Cependant, elle est étroitement liée à l'adoption et au suivi d'une nouvelle ligne budgétaire interministérielle de 11 millions d'euros qui s'intégrera dans le Programme d'activités de soutien aux pays sources et de transit de la migration en Afrique 2020–2022 (aussi appelé Programme Afrique). Ce programme est piloté par le ministère des Affaires étrangères. Il fait du G5 Sahel sa principale priorité.

Il n'est pas étonnant que l'accent mis sur la migration ait contribué à apporter un soutien politique à la fois à la Stratégie du Sahel et au Programme Afrique. Toutefois, cette approche progressive a été facilitée par le fait que, parmi tous les pays d'Europe centrale et orientale, la Tchéquie a les liens avec l'Afrique les plus étroits. Elle a aussi bénéficiée de l'expérience antérieure de coordination d'aide humanitaire avec le ministère de l'Intérieur qui gère Aid in Place, le programme bilatéral d'atténuation et de prévention des migrations. Cet outil a été mis en place en 2015 avec un budget annuel de 6 M€, il a pour objectif de soutenir, entre autres, la gestion des frontières dans les Balkans et celle des camps de réfugiés au Moyen-Orient. Alors que le MAE finançait depuis longtemps une aide affectée aux crises humanitaires complexes pour l'ensemble du Sahel au niveau multilatéral, Aid in Place n'a lancé ses premiers projets axés sur les moyens de subsistance des réfugiés au Tchad, au Niger et au Mali qu'en 2018. Pour les mettre en oeuvre, il a financé une ONG internationale basée en Tchéquie et plusieurs agences des Nations Unies. La Tchéquie a également été très active dans le secteur de la santé des pays du G5 en fournissant aux établissements de santé locaux des équipements et de l'expertise, principalement fournis par des ONG empreintes du savoir-faire tchèque. Au total, le ministère de l'Intérieur a dépensé environ 6 M€ pour l'ensemble du Sahel depuis 2016.

Alors que le nouveau Programme Afrique prend son envol, le programme du ministère de l'Intérieur prévoit de s'orienter vers la gestion des frontières en 2021 en commençant par le Niger. Cette réorientation est fondée sur la notion de frontières externalisées de l'UE dans la région du Sahel. En 2020, le ministère des Affaires étrangères a consacré 2,5 M€ à deux projets mis en oeuvre par des ONG pour la sécurité alimentaire et les services de base aux réfugiés et aux populations rurales du Mali et du Niger. Il a également contribué financièrement à d'autres agences des Nations Unies. Enfin, un nouveau secteur où la République tchèque se distingue, par rapport au reste du monde, c'est par son soutien de la société civile sahélienne. À partir de 2020, le MAE soutient financièrement des radios communautaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger et il commence à soutenir des projets de la société civile dans la région. La nouvelle priorité territoriale reflète également une nouvelle prépondérance des relations commerciales avec la région, comme par exemple dans le domaine des équipement hospitaliers, de l'agriculture ou de l'industrie de la défense. En 2019, la Tchéquie a exporté vers les pays du G5, des biens pour une valeur équivalente à 20 M€. Elle a créé un nouvel instrument flexible d'aide au développement qui implique conjointement les entreprises tchèques. Elle envisage d'ajuster ses règles d'assurance sur les crédits à l'exportation afin de faciliter le commerce avec le Sahel. Enfin, elle envisage également de créer sa propre banque de développement dans le cadre de la réforme des institutions financières de développement de l'UE.

Contrairement à l'Europe de l'Est et aux Balkans, au sein du G5, la Tchéquie n'a pas encore contribué avec son savoir-faire en matière de politique publique dans le domaine de la bonne gouvernance. L'objectif de développement durable numéro 16 est pourtant sa priorité. Cela est dû à la récente réouverture de l'ambassade tchèque à Bamako en septembre 2019, un demi-siècle après la fermeture de l'ambassade tchécoslovaque en 1969, la neuvième ambassade d'un État membre de l'UE au Mali. La complète opérationnalité logistique de l'ambassade tchèque n'est intervenue que l'année suivante, l'augmentation prévue du personnel et la mise en place des accréditations est toujours en cours auprès des autres pays du G5 ce qui prouve véritable retard institutionnel. Cependant, cette ambassade permettra d'approfondir le dialogue politique et de canaliser les projets de développement de manière plus directe dans les années à venir. La Tchéquie a également renforcé sa présence diplomatique en créant le poste d'Envoyé spécial pour le Sahel au MAE. En tant que tout premier pays à le faire, elle a contribué financièrement au secrétariat de la Coalition pour le Sahel.

Conclusions et recommandations

En l'espace de huit ans, la République tchèque a progressivement complété son soutien à la sécurité et à la stabilité par les autres piliers de la nouvelle Coalition pour le Sahel. Elle fait désormais partie du noyau dur des pays engagés auprès de leurs partenaires au Sahel. Au-delà de l'assistance immédiate, en soutenant la société civile locale, les entreprises et les institutions publiques au Sahel, la Tchéquie vise à répondre aux défis des fragilités persistantes. L'ampleur de cet engagement aux multiples facettes fait d'elle aujourd'hui un acteur reconnu autant d'un point de vue minilatéral que multilatéral. Cette vision pour le futur proche est cependant confrontée à deux risques.

Premièrement, l'opinion publique est plutôt favorable à l'armée tchèque grâce notamment à la justification migratoire sous-jacente. Sa mission au Sahel n'a, jusqu'à présent, été contestée que minoritairement aux marges du spectre politique. Toutefois, si jamais les missions de combats, notamment dans le cadre de la Task Force Takuba, occasionnaient des pertes humaines alors, le coût politique pourrait être important et d'éventuelles réactions pourraient survenir. Contrairement aux interventions en Afghanistan et au Kosovo, par exemple, il n'y a eu jusqu'à présent qu'un débat discret, principalement autour d'experts, sur l'implication tchèque dans la région. Sa portée ainsi que ses coûts budgétaires pourraient surprendre une partie de l'opinion publique. En outre, la politisation potentiellement rapide menace non seulement l'intervention militaire, mais aussi les autres formes d'assistances. En effet au Parlement, la crise économique liée à la pandémie de la COVID-19 a déjà entraîné des réductions substantielles des budgets humanitaire et de développement pour l'année 2021.

Deuxièmement, à l'image de l'engagement en Afghanistan, la stabilisation du Sahel nécessitera des ressources importantes sur une longue période. Les difficultés rencontrées par la diplomatie tchèque pour allouer de manière substantielle des ressources humaines internes et externes et les ajouter à ses priorités politiques, combinées à une expertise limitée sur l'Afrique francophone, peuvent conduire à un phénomène de « lassitude de l'aide » (Aid fatigue) du côté du gouvernement et de l'opinion publique. La participation d'autres organisations et partenaires est certes nécessaire à la fois en termes de mutualisation des ressources et à la fois comme un instrument efficace pour créer de nouveaux partenariats. Néanmoins, si la République tchèque continue à mettre en oeuvre des projets par le biais d'ONG, internationales et locales, ou par la biais de contributions à des projets d'organisations internationales sans impliquer les experts tchèques, elle s'expose à l'augmentation du phénomène de lassitude de l'aide.

Le gouvernement tchèque ne doit pas sous-estimer ces deux risques. Pour les atténuer et rendre la stratégie tchèque pour le Sahel durable, la diplomatie publique et le renforcement des moyens sont nécessaires, non seulement, en ce qui concerne les décideurs/-euses et les citoyen-ne-s des pays du Sahel en termes de présentation de la contribution tchèque, mais aussi, en ce qui concerne ceux et celles qui vivent en Tchéquie. En effet, une grande légitimité populaire est une condition sine qua non à un partenariat durable au Sahel qui irait, sur le long terme, au-delà d'une priorité conjoncturelle liée à la présidence tournante tchèque du Conseil de l'Union européenne au second semestre 2022, juste après celle de la France.

Les politiques et les citoyen-ne-s tchèques doivent être conscient-e-s que les défis dans la région sont vastes, complexes et multidimensionnels : il est fort probable qu'il n'y ait pas d'issue rapide à la crise. Toute forme d'efforts sérieux de stabilisation et de développement prendra très probablement beaucoup de temps. La République tchéque devrait commencer à entreprendre, dès à présent, des investissements de long terme. Elle devrait soutenir en priorité les domaines où les changements politiques, sociaux et économiques ont tendance à être les plus lents.

→ En termes de stratégie, la République tchèque devrait continuer à soutenir une approche globale et englobante pour relever les défis régionaux au niveau national, européen et multilatéral. La Tchéquie devrait également promouvoir l'application à l'échelle de l'UE du principe « donner plus pour recevoir plus » afin d'inciter ses partenaires à entreprendre des réformes et à assumer l'ownership de l'assistance européenne. L'actualisation de la stratégie nationale pour le Sahel, prévue cette année, devrait donc être alignée sur les quatre piliers de la Coalition pour le Sahel et insister sur le rétablissement des administrations publiques et sur la coopération en matière de développement.

→ Dans le domaine de la stabilité (piliers 1 et 2), l'engagement stratégique devrait être consolidé et renforcé malgré la contrainte budgétaire prévisible à cause de la covid. Il devrait inclure les activités de soutien de l'OTAN, en plus de son rôle facilitateur et fournisseur d'actifs comme par exemple le renforcement des capacités. Il devrait également inclure une rationalisation de cette approche dans les activités bilatérales de la Tchéquie. Les efforts déployés à l'avenir pour lutter contre le terrorisme et les migrations irrégulières devraient être complétés par une résilience préalable ce qui atténuerait les causes structurelles des conflits et de l'instabilité, notamment les inégalités.

→ Dans le domaine de la gouvernance (pilier 3) et conformément aux priorités de sa politique étrangère en matière de promotion des droits humains et aux objectifs de développement durable (ODD 16 Paix, justice et institutions fortes), la Tchéquie devrait intégrer la bonne gouvernance, l'inclusion et les droits humains dans toutes ses activités, y compris par le renforcement des moyens pour prévenir les violations du droit international humanitaire et des droits humains. Elle devrait également insister sur l'application méthodique de garanties contraignantes concernant les équipements létaux tant en ce qui concerne le Fonds européen pour la paix que de façon bilatérale. Elle devrait veiller à ce que sa participation à la gestion des frontières ne nuise pas aux économies locales.

→ Dans le domaine du développement (pilier 4), la Tchéquie doit encore trouver sa place en matière de coopération bilatérale de développement avec le Sahel. Elle pourrait apporter une valeur ajoutée supplémentaire et utiliser son expertise spécifique acquise dans d'autres pays, tout en équilibrant ses contributions bilatérales, européennes et multilatérales. Ne pas perdre de vue la condition des femmes et des filles est une condition préalable aux effets multiplicateurs. Le renforcement des moyens alloués aux organisations de la société civile locale est une forme d'intervention appropriée dans laquelle la Tchéquie a une longue expérience. Dans le même temps, les institutions publiques tchèques devraient être pleinement mobilisées afin d'apporter, sans intermédiaire, leur expertise et leur soutien à leurs homologues au Sahel.

→ En ce qui concerne le financement de la Stratégie et sa mise en application, le gouvernement tchèque devrait préserver la flexibilité des divers outils financiers, mais en même temps, dans son actualisation de 2021, il devrait allouer des estimations budgétaires à moyen terme ce qui permettrait d'atteindre ses objectifs et une meilleure planification budgétaire pour les ministères concernés. Il devrait également rendre le Sahel éligible, prioritaire et intégré dans les lignes budgétaires existantes dans les domaines du renforcement des capacités, de l'assistance technique, du soutien à la société civile, de la sensibilisation de l'opinion et de la diplomatie publique auprès de CzechAid, auprès du ministère des Affaires étrangères et d'autres ministères. Il faut également mettre l'accent sur le français qui est la langue courante dans la région. La stratégie actualisée devrait enfin , exiger des rapports de dépenses réels dans la région plus détaillées.